A méditer...
Aujourd’hui, seuls 25% des Brésiliens sont véritablement alphabétisés. La priorité du futur président doit être l’éducation, plaide l’économiste Gustavo loschpe.
Une léthargie trompeuse règne sur le Brésil, donnant l’impression que toutes les questions structurelles ont été résolues ou, à tout le moins, sont sur le point de l’être… Mais l’idée qu’il suffit désormais de gérer est illusoire. La majorité des Brésiliens n’en a pas encore conscience, mais nous sommes en guerre. Et c’est une guerre totale, au moins sur un front : celui de l’éducation ou, plutôt, de ses lacunes abyssales. Même si, un jour, nous avons la maîtrise de l’inflation et un budget en excédent, même si nous parvenons à résoudre les déficiences de nos infrastructures et à rationaliser la fiscalité, même si nous mettons un terme à la corruption, aux problèmes de santé publique et à la violence urbaine, même si nous réussissons tout cela, nous ne deviendrons pas un pays développé tant que nous continuerons à former si peu de jeunes et à des niveaux de qualification si bas.
Pour résumer, il n’y a que deux manières d’assurer la croissance d’une économie : soit en augmentant les facteurs de production (capital et travail), soit en augmentant la productivité. Or, à long terme, seule la seconde option est durable. Et il n’y a qu’une seule façon d’obtenir une hausse durable de la productivité : l’éducation.
Dans ce domaine crucial, nous échouons lamentablement. Les chiffres sont déplorables à tous les niveaux. En troisième cycle universitaire, qui est le niveau où sont menées les recherches permettant de déboucher sur la production de biens à forte valeur ajoutée, le Brésil ne compte que 58 000 étudiants en doctorat, dont 31 000 concentrés dans deux Etats, ceux de São Paulo et de Rio de Janeiro. Dans ses derniers recensements, l’Unesco dénombre dans notre pays 213 000 chercheurs. Ils sont 1,5 million en Chine, 935 000 au Japon [et environ 200 000 en France]. Pour couronner le tout, bien que le volume global de travaux de recherche augmente, il s’agit, dans la grande majorité des cas, de travaux de recherche fondamentale à l’intérêt limité, voire nul en termes d’applications pratiques. Dans les premier et deuxième cycles universitaires, le taux d’inscrits au Brésil avoisine les 20 % d’une classe d’âge, quand des pays sous-développés comme le Pérou, le Chili et le Venezuela affichent le double. Dans les pays développés, ce taux tourne autour de 60 % et flirte même avec 100 % en Corée du Sud et en Finlande.
Si l’université brésilienne est si famélique, c’est notamment parce que nous formons extrêmement peu d’élèves dans les lycées. C’est un enseignement archaïque, académique, qui étouffe l’élève dans un programme extrêmement lourd et ne lui apprend pas grand-chose, dans le cadre d’un modèle unique, sans lui donner le choix d’une voie technique ou professionnalisante. Aujourd’hui, l’enseignement secondaire dans les pays développés ne prépare pas qu’à l’entrée à l’université, il prépare à la vie. Au Brésil, il ne fait ni l’un ni l’autre, ou le fait mal. Au test PISA [réalisé par l’OCDE], qui évalue l’acquisition des savoirs des élèves de 15 ans dans 57 pays, le Brésil se classe 54e en mathématiques, 52e en sciences et 49e en langue.
Le tableau du secondaire est déplorable car l’enseignement y est rigide et archaïque, mais aussi parce que peu d’élèves vont jusqu’au bout du collège. La médiocrité de l’enseignement est telle que beaucoup d’entre eux redoublent plusieurs fois et finissent par se lasser. Au collège, les élèves devraient avoir entre 11 et 14 ans, mais, en fait, un sur quatre est âgé de 15 ans ou plus – soit pas moins de 3,6 millions d’individus !
Le problème ne surgit pas dans les dernières années de scolarisation, il est présent dès le début. Le Brésil rêve d’être la nouvelle Rome tropicale, mais ce chiffre va lui remettre les pieds sur terre : les évaluations montrent que seuls 25 % des Brésiliens sont totalement alphabétisés – trois de nos compatriotes sur quatre ne peuvent pas comprendre un article de ce magazine ! Ne croyez pas qu’il s’agisse d’un vestige du passé, dû aux personnes âgées n’ayant pas été scolarisées. Non. C’est de nos jours que la majorité des écoles brésiliennes échoue dans sa tâche d’alphabétisation des élèves dès les deux premières années de scolarité. Selon les données du SAEB (Système d’évaluation de l’enseignement primaire et secondaire) pour l’année dernière, près de sept élèves sur dix n’atteignent pas le niveau de connaissances en portugais considéré comme idéal par le programme Todos pela Educação [Tous pour l’éducation]. Effrayant, non ? Et ce n’est pas fini : la même étude révèle que 25 % des élèves de 4e série [équivalent du CM1] sont pour l’essentiel analphabètes, après quatre ans d’école !
Cet échec dans l’alphabétisation des enfants, en 2010, n’est pas seulement un obstacle au développement. C’est un fléau pour notre société, une honte nationale. Les “technologies” de l’alphabétisation de masse à l’intention des enfants sont aujourd’hui maîtrisées par certains pays en développement. Elles le sont depuis un siècle déjà en Argentine et en Uruguay – et même depuis deux siècles dans nombre de pays développés. C’est une situation incompréhensible et totalement inacceptable. Le plus incompréhensible est qu’il existe déjà au Brésil des dizaines d’établissements et d’enseignants, y compris dans des régions très défavorisées, qui parviennent à alphabétiser 100 % de leurs élèves en 1re série [équivalent du CP]. Il y a aussi des ONG qui se sont saisies du problème, avec des taux de réussite élevés. Nous avons donc des solutions parfaitement utilisables et à bas coût.
L’une des tragédies du sous-développement, y compris dans un pays démocratique, est que les exigences du peuple excèdent toujours les capacités de l’Etat. Dès lors, les dirigeants politiques sont fortement tentés d’abdiquer une de leurs fonctions essentielles : celle de définir des priorités. L’accumulation de problèmes dans notre système éducatif est une incitation au populisme : un dirigeant qui ne s’attaquerait pas simultanément à tous les problèmes éducatifs court le risque d’être accusé d’être sans cœur ou élitiste. Aussi, le Brésil a pris l’habitude de faire un peu de tout, mais rien d’essentiel.
Tôt ou tard, la croissance brésilienne butera sur le manque d’individus qualifiés. Et, quand nous nous en rendrons compte, il sera trop tard : nous aurons perdu une génération de plus
Pour résumer, il n’y a que deux manières d’assurer la croissance d’une économie : soit en augmentant les facteurs de production (capital et travail), soit en augmentant la productivité. Or, à long terme, seule la seconde option est durable. Et il n’y a qu’une seule façon d’obtenir une hausse durable de la productivité : l’éducation.
Dans ce domaine crucial, nous échouons lamentablement. Les chiffres sont déplorables à tous les niveaux. En troisième cycle universitaire, qui est le niveau où sont menées les recherches permettant de déboucher sur la production de biens à forte valeur ajoutée, le Brésil ne compte que 58 000 étudiants en doctorat, dont 31 000 concentrés dans deux Etats, ceux de São Paulo et de Rio de Janeiro. Dans ses derniers recensements, l’Unesco dénombre dans notre pays 213 000 chercheurs. Ils sont 1,5 million en Chine, 935 000 au Japon [et environ 200 000 en France]. Pour couronner le tout, bien que le volume global de travaux de recherche augmente, il s’agit, dans la grande majorité des cas, de travaux de recherche fondamentale à l’intérêt limité, voire nul en termes d’applications pratiques. Dans les premier et deuxième cycles universitaires, le taux d’inscrits au Brésil avoisine les 20 % d’une classe d’âge, quand des pays sous-développés comme le Pérou, le Chili et le Venezuela affichent le double. Dans les pays développés, ce taux tourne autour de 60 % et flirte même avec 100 % en Corée du Sud et en Finlande.
Si l’université brésilienne est si famélique, c’est notamment parce que nous formons extrêmement peu d’élèves dans les lycées. C’est un enseignement archaïque, académique, qui étouffe l’élève dans un programme extrêmement lourd et ne lui apprend pas grand-chose, dans le cadre d’un modèle unique, sans lui donner le choix d’une voie technique ou professionnalisante. Aujourd’hui, l’enseignement secondaire dans les pays développés ne prépare pas qu’à l’entrée à l’université, il prépare à la vie. Au Brésil, il ne fait ni l’un ni l’autre, ou le fait mal. Au test PISA [réalisé par l’OCDE], qui évalue l’acquisition des savoirs des élèves de 15 ans dans 57 pays, le Brésil se classe 54e en mathématiques, 52e en sciences et 49e en langue.
Le tableau du secondaire est déplorable car l’enseignement y est rigide et archaïque, mais aussi parce que peu d’élèves vont jusqu’au bout du collège. La médiocrité de l’enseignement est telle que beaucoup d’entre eux redoublent plusieurs fois et finissent par se lasser. Au collège, les élèves devraient avoir entre 11 et 14 ans, mais, en fait, un sur quatre est âgé de 15 ans ou plus – soit pas moins de 3,6 millions d’individus !
Le problème ne surgit pas dans les dernières années de scolarisation, il est présent dès le début. Le Brésil rêve d’être la nouvelle Rome tropicale, mais ce chiffre va lui remettre les pieds sur terre : les évaluations montrent que seuls 25 % des Brésiliens sont totalement alphabétisés – trois de nos compatriotes sur quatre ne peuvent pas comprendre un article de ce magazine ! Ne croyez pas qu’il s’agisse d’un vestige du passé, dû aux personnes âgées n’ayant pas été scolarisées. Non. C’est de nos jours que la majorité des écoles brésiliennes échoue dans sa tâche d’alphabétisation des élèves dès les deux premières années de scolarité. Selon les données du SAEB (Système d’évaluation de l’enseignement primaire et secondaire) pour l’année dernière, près de sept élèves sur dix n’atteignent pas le niveau de connaissances en portugais considéré comme idéal par le programme Todos pela Educação [Tous pour l’éducation]. Effrayant, non ? Et ce n’est pas fini : la même étude révèle que 25 % des élèves de 4e série [équivalent du CM1] sont pour l’essentiel analphabètes, après quatre ans d’école !
Cet échec dans l’alphabétisation des enfants, en 2010, n’est pas seulement un obstacle au développement. C’est un fléau pour notre société, une honte nationale. Les “technologies” de l’alphabétisation de masse à l’intention des enfants sont aujourd’hui maîtrisées par certains pays en développement. Elles le sont depuis un siècle déjà en Argentine et en Uruguay – et même depuis deux siècles dans nombre de pays développés. C’est une situation incompréhensible et totalement inacceptable. Le plus incompréhensible est qu’il existe déjà au Brésil des dizaines d’établissements et d’enseignants, y compris dans des régions très défavorisées, qui parviennent à alphabétiser 100 % de leurs élèves en 1re série [équivalent du CP]. Il y a aussi des ONG qui se sont saisies du problème, avec des taux de réussite élevés. Nous avons donc des solutions parfaitement utilisables et à bas coût.
L’une des tragédies du sous-développement, y compris dans un pays démocratique, est que les exigences du peuple excèdent toujours les capacités de l’Etat. Dès lors, les dirigeants politiques sont fortement tentés d’abdiquer une de leurs fonctions essentielles : celle de définir des priorités. L’accumulation de problèmes dans notre système éducatif est une incitation au populisme : un dirigeant qui ne s’attaquerait pas simultanément à tous les problèmes éducatifs court le risque d’être accusé d’être sans cœur ou élitiste. Aussi, le Brésil a pris l’habitude de faire un peu de tout, mais rien d’essentiel.
Tôt ou tard, la croissance brésilienne butera sur le manque d’individus qualifiés. Et, quand nous nous en rendrons compte, il sera trop tard : nous aurons perdu une génération de plus